Rencontre avec Bruno Mérandon, le créateur de Maggus

 

Dr Zomb a séquestré Bruno Mérandon puis lui a infligé de multiples supplices. Après plusieurs heures de torture, le créateur de Maggus a fini par passer à table : il a avoué à Dr Zomb tous les secrets de fabrication de son jeu.

 

Dr Zomb : Bonjour Bruno. Tu n'es plus un inconnu dans le petit monde du jeu de rôle francophone mais je pense que tous nos lecteurs ne te connaissent pas encore. Pourrais-tu te présenter brièvement ?

Bruno Mérandon, auteur de Maggus : Bonjour Docteur. Maggus, mon dernier jeu, est sans doute bien mieux connu que moi ! Ma carte d'identité dit que j'ai 35 ans, je suis donc né 9 ans avant la première édition de Donjons et Dragons ! Passons sur mon parcours universitaire que je qualifierais de chaotique. Je joue au jeu de rôle depuis 1978 ce qui fait depuis, voyons ... calculons un peu ... près de ... longtemps ! J'ai bien évidemment commencé par D&D, il n'y avait pas grand chose d'autre à l'époque, puis Traveller, AD&D, etc. J'ai commencé à écrire mon premier jeu de rôle en 83, pour mon propre plaisir, et surtout, sur l'invitation insistante de mes joueurs ! Après quelques années dans la fonction publique, j'ai décidé de vivre de ma passion : le jeu de rôle.

Dr Zomb : Maggus, le Jeu de Rôle de Toutes les Magies, ton dernier jeu, vient tout juste de sortir. Pourrais-tu nous résumer brièvement ses principales caractéristiques ?

Bruno Mérandon : Maggus est un jeu sur lequel je travaille depuis une dizaine d'année. L'idée de départ était de fournir un univers et un système de jeu où toutes les approches de la magie (d'inspiration littéraire, ludique ou "historique") puissent coexister de façon cohérente et harmonieuse. Vu l'intérêt que de nombreux joueurs portaient à ce concept et après quelques années de test, j'ai décidé de l'éditer. Maggus compte actuellement près de 40 systèmes de magies différents. Et quand je parle de systèmes de magie différents, je ne pense pas 40 listes de sorts, mais bien 40 approches différentes de la magie. Nous avons fait en sorte que tous ces systèmes de magie soient équilibrés les uns par rapport aux autres et que l'ensemble reste facile à diriger pour le maître de jeu. De plus, toutes les magies peuvent être jouées en solo et les adeptes de chaque magie sont capables de se sortir de toutes les situations de jeu. Lors des tests avec de nombreux maîtres de jeu n'ayant jamais joué à Maggus, nous nous sommes rendu compte que 40 systèmes de magies à appréhender en une seule fois cela faisait un peu beaucoup pour le maître de jeu. C'est pourquoi nous avons décidé de proposer 6 systèmes de magies dans les règles de base - l'Elémentarisme, l'Hekau (ou magie des noms), la Magie Universelle, la Magie du Corps, le Druidisme et le Bardisme – et d'introduire les autres magies graduellement.

Ce qui fait que Maggus est un jeu de rôle qui se démarque nettement des autres, ce n'est pas seulement son système de jeu où chaque joueur peut incarner sa magie préférée, c'est aussi un monde unique, gigantesque, complexe et où la magie est omniprésente. Comme plus de 10 % des habitants de Maggus sont magiciens, la magie est totalement intégrée dans la société, la politique, l'agriculture, la médecine, l'industrie et les arts, ce qui en fait un monde aux particularités profondes, qui sont décrites dans les règles de base. Je dévoilerai juste que le monde de la surface est un gigantesque disque plat et que le ciel comprend 3 soleils et 7 lunes dont les cycles influencent lourdement la vie quotidienne des habitants de Maggus. Pour le reste, je laisse aux joueurs le plaisir de découvrir cet univers.

Dr Zomb : Maggus, le nom de ton monde, est-il un univers médiéval fantastique, créneau déjà très encombré ? Quelles sont les particularités de l'univers de Maggus par rapport à d'autres jeux axés sur la magie ?

Bruno Mérandon : Le médiéval fantastique est un thème largement utilisé par le jeu de rôle et pour une excellente raison, c'est un thème qui plaît ! Cependant, Maggus n'est pas un jeu médiéval fantastique au même titre qu'Ars Magica, par exemple. Ce serait plutôt un jeu d'Heroic Fantasy. Je m'explique : Le Médiéval Fantastique se situe dans un contexte historique médiéval, le coté "historique" étant plus ou moins marqué (très marqué dans Ars Magica ou dans Chivalry and Sorcery, moins marqué dans des jeux comme AD&D ou l'Œil noir). À la différence de ces jeux, Maggus n'est pas un monde médiéval. En effet, suivant les différents pays qui composent Maggus, le niveau technologique varie entre l'âge de pierre et le futur proche. D'ailleurs la technologie est considérée sur Maggus comme une magie comme les autres. Après tout, il y a peu de différence entre une baguette de boule de feu et un lance-flammes ! Une autre des caractéristiques de Maggus, c'est qu'au contraire des autres jeux fantastiques, Maggus propose un grand nombre d'approches de magie, ce qui n'a jamais été fait à ma connaissance. Je sais, vous allez me parler de Rolemaster et ses 80 "magies", mais il ne s'agit pas véritablement de magies différentes, mais plutôt de listes de sorts légèrement différentes sur un même système de magie. Le plus beau, c'est que cette variété dans les magies ne se fait pas au détriment de la jouabilité. Nos années de test ont montré que cette diversité reste très simple à maîtriser et à jouer.

Dr Zomb : J'ai cru comprendre que dans Maggus, tous les personnages joueurs sont des magiciens. Comment est-il possible de gérer un groupe de 6 magiciens ?

Bruno Mérandon : C'est très facile, tu n'as qu'à essayer ! Plus sérieusement, c'est possible pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le terme de magie regroupe des notions très vastes. Ainsi les héros-guerriers des romans, comme Conan ou Fafrd, sont considérés sur Maggus comme des Magiciens du Corps, une magie qui apprend à ses pratiquants à dépasser les limites humaines, tant du point de vue physique que mental. Ensuite, chaque magie est conçue pour pouvoir être joué en solo, aussi il n'y a pas le problème de dépendance des personnages les uns par rapport aux autres qui complique la tâche du maître de jeu, comme dans AD&D où un magicien débutant est obligé de s'entourer de guerriers pour survivre. De plus, au contraire d'Ars Magica, les magiciens sont totalement intégrés à la société, aussi ils n'ont pas besoin de compagnons pour les guider dans le monde.

Dr Zomb : Le système de jeu de Maggus est plutôt simulationniste ou je me trompe ?

Bruno Mérandon : Tu te trompes et tu ne te trompes pas ! Le système est conçu pour pouvoir être joué à plusieurs niveaux. Il peut être très précis et simulationniste ou laisser totalement la place au role playing suivant les goûts des joueurs et du maître. Dans tous les cas, le système de jeu s'appuie sur une base unique. Lors d'une confrontation, chaque joueur tire 2d10-10 plus son niveau de compétence. La différence entre les deux donne la marge de réussite, plus elle est élevée, plus la réussite est grande. Simple, non ? La première option, c'est de jouer sans jet de dés (la moyenne de 2d10-10, c'est zéro), on oppose tout simplement la compétence de l'attaquant à celle du défenseur pour déterminer la réussite. Comme pour Ambre, cette option privilégie le role playing. On peut ensuite jouer avec 2d10-10+compétence, ce qui introduit un élément de hasard. On peut enfin jouer avec 2d10-10+compétence mais chaque jet de dé est sans limite (façon Rolemaster). Ah ! La joie d'un critique et le désespoir d'un fumble ! On peut construire une campagne entière sur un fumble !

Chaque magie est construite pour qu'elle laisse la plus grande liberté possible au joueur. Sur Maggus, un magicien, quelle que soit sa magie, n'est limité que par l'imagination de son joueur ! Les maîtres de jeu "directifs" vont devoir être créatifs ! Je ne vais pas entrer dans les spécificités de chacun des systèmes de magie mais les règles de base font ça très bien.

Dr Zomb : Tu n'en es pas à ton coup d'essai en matière de création de jeux. En quoi tes expériences précédentes t'ont-elles été utiles pour concevoir Maggus ?

Bruno Mérandon : J'ai commencé à créer mon premier jeu il y a maintenant 17 ans. C'était un jeu de superhéros nommé Mutant et Savant (plus connu sous le nom de MUTS) qui utilisait un système de jeu très souple mais il fallait être initié pour commencer à jouer. J'ai ensuite écrit deux ou trois autres jeux basés sur le même système avant d'écrire Boucaniers, que j'ai édité à compte d'auteur en 1991. Casus Belli m'avait d'ailleurs à l'époque accordé une tête d'affiche plutôt avantageuse. Lorsque j'ai commencé Maggus, je suis parti du système de jeu de Boucaniers. Mais ce qui était simple pour un jeu de flibuste c'est montré un peu lourd à gérer pour un jeu fantastique. Aussi mes joueurs m'ont demandé de simplifier le système tout en gardant la souplesse, tu vois, le genre mission impossible en fait ! Après un an de réflexion et de test, notre équipe s'est arrêtée sur le système actuel qui s'est révélé satisfaisant, à un point tel que je suis en train d'adapter dans ce système de jeu certains des jeux que j'ai écrits. J'espère pouvoir un jour publier MUTS, Boucaniers (seconde édition), Ondö (un jeu médiéval japonais), et quelques autres. Pour la petite histoire, j'ai même écrit un jeu de rôle pour les 60 ans de ma mère fana de cinéma, "Hollywood", où l'on joue une actrice ou un acteur du cinéma hollywoodien.

Dr Zomb : Maggus est-il un jeu publié à compte d'auteur ? Qu'est-ce que Rêves d'Aventures ?

Bruno Mérandon : Boucaniers a été édité à compte d'auteur. Par contre, pour éditer Maggus, j'ai préféré créer une maison d'édition : "Rêves d'Aventures". Cette nouvelle maison d'édition a pour vocation de publier des jeux de rôle de langue française et bien évidement pas seulement les miens ! L'équipe de Rêves d'Aventures prévoit de sortir un nouveau jeu environ tous les 12 à 18 mois et nous avons besoin d'auteurs talentueux pour ça. Nous n'avons pas encore décidé du prochain élu mais nous y travaillons. Pour monter Rêves d'Aventures, j'ai dû faire quelques économies et impliquer mes proches. Nous sommes maintenant 12 associés pour un capital de 126 000 francs. Pour ma part, j'ai mis également de côté de quoi à vivre pendant un an car je ne prévoyais pas que la société ait de recettes avant 1 an. Mais cela fait maintenant 18 mois que j'ai quitté mon emploi. Je dois avouer qu'à l'heure actuelle, c'est dur car le jeu commence juste à bien marcher ! Vivement que je puisse enfin toucher le SMIC ! Mais toute l'équipe voulait faire du bon travail et on a mis plus d'un an pour sortir la maquette actuelle. Nous espérons qu'elle vous plaira. Ce qui est sur, c'est que je ne fais pas cela pour l'argent, je gagnais très largement mieux ma vie dans mon ancien emploi de responsable informatique dans un laboratoire de recherche ! Pourquoi me suis-je lancé dans cette aventure ? Principalement parce que je souhaitais travailler dans ce qui me plaisait vraiment : le jeu de rôle.

Mon expérience d'auteur de m'a prouvé que les éditeurs de jeu en France étaient plutôt frileux et préféraient traduire des jeux anglais que de prendre des risques en donnant leur chance à des auteurs francophones. J'ai donc réuni l'équipe qui a créé Rêves d'Aventures pour offrir leur chance à des jeux d'auteurs francophones. Nous n'avons aucune intention d'éditer de traduction. Pour sélectionner les jeux que nous allons éditer, nous sommes en train de monter une structure de test afin que ce soit les joueurs qui décident de la publication du jeu et non pas nous, bien que nous soyons tous des joueurs.

Dr Zomb : On reproche souvent aux nouveaux jeux d'avoir peu de suivi. Des extensions sont-elles déjà prévues pour Maggus ?

Bruno Mérandon : Juste avec Maggus, nous avons l'intention de sortir une extension tous les trois mois et nous avons de la substance pour au moins 10 ans ! Pour pouvoir éditer la première extension, il faut que la vente de Maggus aie rapporté suffisamment d'argent pour financer l'impression de l'extension. Dès que nous avons cet argent, l'extension Enchanteur part en presse car elle est pratiquement terminée ! C'est sur ce plan que les plus grosses sociétés ont un avantage sur nous. Elles peuvent financer la sortie du jeu et des deux ou trois premières extensions sur leur fond de roulement. Rêves d'Aventures devrait bientôt être capable de le faire. Ce qui est sur, c'est que nous avons l'intention de suivre activement le jeu. C'est notre premier bébé après tout !

Nous pensons donc sortir une extension de Maggus tous les trois mois, suivant le rythme suivant : 2 extensions "Magie" (avec un nouveau système de magie) puis une extension "Pays" (qui décrira une région du monde). Aucune extension ne sera indispensable pour jouer mais elles apporteront de la substance et des sources d'inspiration au maître de jeu.

Dr Zomb : Eh bien, merci Bruno d'avoir répondu à toutes ces questions. Je te quitte pour retourner avec mes petites zombinettes. A bientôt et longue vie à Maggus !

Bruno Mérandon : Merci à toi et bonnes zombinettes, et j'espère que je te retrouverai bientôt autour d'une table de Maggus, le Jeu de Rôle de Toutes les Magies. Au fait, c'est grave Docteur ?

L'intervention et les illustrations de Shaniah

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